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Depuis le premier jour où j’ai photographié les Chef.fe.s et leur lieu (2004…), beaucoup me confiaient : « Le restaurant, c’est bien. Mais moi, en réalité, je rêve d’un petit endroit, d’une tablée unique de 12/16 couverts, d’une ambiance comme à la maison où chaque service serait à l’image d’un repas entre copains »…

De ci, de là, sont apparues des tables de chef.fe.s, autrement dit une petite table glissée toute proche ou dans la cuisine, afin que le Chef puisse partager un service avec quelques hôtes-amis, et améliorer sa vie sociale… Je comprends absolument cette envie de vivre sa passion pour la cuisine sans avoir un mur, au mieux un passe, et toujours l’équipe de salle, entre le cuisinier et l’heureux mangeur. Moi-même, pour avoir pratiqué la cuisine à domicile dans une vie lointaine, j’ai expérimenté le bonheur d’être Cheffe savourant la possibilité de partager sans filtre le pourquoi de ma passion, et de recevoir en retour, 100% du bonheur des convives.

Quand, en plus, on met dans la balance l’extrême et croissante difficulté de recruter du personnel, l’explosion des charges fixes et ce rythme de vie, depuis toujours décalé par rapport à une vie de famille, alors on comprend que certains sautent le pas.

Le couple extraordinaire de la haute gastronomie, qui a passé le cap est Olivia et Mickaël Féval. 

– Arrêt sur image et note de la rédaction – L’autrice se doit de vous préciser que M. Et Mme Féval sont parmi ses meilleurs amis depuis 13 ans et qu’elle a apporté une « petite » pierre à leur superbe édifice (un amour solide, 3 enfants superbes, 2 restaurants dont 1 étoilé et quelques autres « trophées » – Fière d’eux et subjective je suis).

Le 31 décembre dernier, ils ont fermé leur restaurant étoilé de la rue Saint-Jean à Aix-en-Provence. Après 8 ans de bons et loyaux services, la coupe est pleine et le couple à un croisement. Le covid a eu cela de bon ; il a imposé la pause tout en donnant l’opportunité de vivre d’autres formats de restauration, déplaçant les cuisines dans des grands espaces ou chez les clients. Le 3ème enfant amène aussi son lot de remise en question… et la nécessité de déménager dans une maison plus grande… C’est là où la vie est magique ; elle leur apporte pile au bon endroit pile au bon moment, la bastide provençale dont la configuration parfaite apportera la réponse à leur envie d’autre chose. Fini de courir entre le travail et la maison. Le travail se fera à la maison. Fini de courir après le personnel. Le personnel sera réduit à l’essentiel. Fini de courir 14h/jour 5 jours/7, ce sera seulement 3 soirs par semaine et quelques autres demandes exceptionnelles toujours joyeusement sélectionnées.

Dîner en famille, à la maison, juste avant l’arrivée des convives

Ainsi, en juin, Olivia et Mickaël ont ouvert, chez eux, une table d’hôte gastronomique bien nommée « entre nous ».

Je suis allée partager 3 jours de leur nouvelle vie personnelle et professionnelle. J’avais envie de comprendre profondément tous les tenants et les aboutissants. Ce fut passionnant. Dans le TGV du retour, je me questionne : sont-ils l’avant-garde du restaurant gastronomique de demain ? Sont-ils en train de réinventer un art de la restauration (côté cuisine et côté service) ? Sont-ils en train de trouver leurs réponses à toutes les crises traversées par ce secteur professionnel ?… Je suis convaincue : ils répondent à une forte attente des gourmets : vivre un moment d’exception alliant simplicité et unicité. Sans oublier la connexion directe avec les passions du Chef et de Madame : cuisiner et recevoir… Je me remémore nos nombreux échanges où les mots sincérité et partage sont o-mni-pré-sents…. Je me réjouis de les avoir vus dans un rythme où les enfants ne sont plus ailleurs parce que les parents sont menottés à leur lieu de travail.

Je suis également réaliste : ce pas de côté n’est pas accessible à tous.

Du côté des « aubergistes », il faut accepter d’ouvrir sa maison qui se doit d’être un lieu charmant. Il faut que la petite famille (4 enfants de 3 à 17 ans) comprenne ce qui se passe, car ce mode de vie/travail a ses contraintes. Il faut être financièrement serein et aller vers une forme de décroissance. Il ne s’agit pas de se laisser embarquer, de nouveau, dans un rythme de vie professionnelle trop dense parce qu’il faut payer le crédit de la maison, de la voiture, la semaine de vacances au ski et les billets d’avion du congé d’été. Il faut aussi être en couple bien entendu, et en accord sur le projet de vie. Enfin et surtout, il faut avoir des qualités d’accueil uniques… Je souris de cette anecdote racontée par Olivia et qui en dit long : 

  • La cliente : « Ca ne vous dérange pas de recevoir les clients chez vous ? »… 
  • Olivia de répondre : « Mais Madame, je vous recevais déjà chez moi quand vous veniez au restaurant »…

……… « Je vous recevais déjà chez moi quand vous veniez au restaurant »… Olivia n’a pas fait d’école du service. Elle n’a pas pris de cours de sommellerie. Elle a fait son premier jour de salle le premier jour de son propre restaurant. Pour ainsi dire, elle n’a pas été « polluée » par les codes d’un service de restaurant gastronomique (J’ai énormément de respect pour ces codes) et c’est ce qui lui a donné un style unique qui a fait des merveilles au restaurant étoilé mais qui trouve tout son éclat dans ce nouveau format « à la maison ».

Du côté des hôtes, il faut aussi accepter. Accepter que ce soit un lieu privé (la beauté du lieu aide beaucoup) et que, peut-être, vous trouverez un petit jouet sous le fauteuil du salon. Accepter aussi de vivre une soirée à laquelle on ne s’attend pas. Là encore une anecdote illustre le propos : La dame est arrivée et a refusé de s’assoir à la table d’hôte. Le premier quart d’heure, elle boudait… Mais quelques heures après, elle repartait en appelant Olivia par son prénom et en lui avouant : « Si mon mari m’avait prévenue de là où il m’amenait, je lui aurais imposé d’annuler… Je viens de vivre une des meilleures expériences gastronomiques de ma vie ».

Il faut accepter que ce soit toujours différent ; parfois, ce sera une grande tablée de 18/20 convives qui ne se connaissent pas en arrivant mais repartiront connectés, et, d’autres fois, des soirées à 8/10, ou même moins, et où chacun savourera dans son cocon intime. Et ce n’est pas grave parce qu’on gagne à tous les coups ! Parce qu’à chaque itération, Olivia et Mika sont là avec cette aptitude quasi inexplicable à vous emmener avec eux dans leur interprétation de l’art gastronomique.

Olivia et Mickaël en plein travail partage

Concrètement, Olivia et Mickaël proposent de rencontrer leurs hôtes sous 3 formats. Parce qu’ils sont marqués du sceau de la restauration gastronomique, ils ouvrent leur maison les vendredis et samedis soir pour des dîners haut de gamme (5 services, mignardises et autres gourmandises, et boissons qui vont bien). Parce qu’ils ont aussi envie d’accueillir chez eux pour des soirées plus accessibles et plus « canaille », ils ont créé le « Wine, Cheese & Pâté en Croûte Club ». Ça se passe le jeudi soir et célèbre les beaux produits que sont les vins, les fromages et les merveilles de la charcuterie, pan incontournable du patrimoine culinaire français. Parce qu’ils aiment concocter des événements inédits, ils proposent de créer, chez eux ou ailleurs, des prestations uniques taillées sur mesure selon les envies des clients.

Il y aurait encore tant à dire… Pour ma part, j’ai partagé avec eux un « Wine, Cheese & Pâté Croûte Club ». Il fait frais et la nuit tombe vite alors ça se tiendra dans la pièce de vie où la cheminée sera allumée pour la première fois de l’année (un peu à cause de moi j’avoue ; j’en avais envie). Ce soir nous ne serons que 5. 2 couples et moi. Olivia choisit d’installer 3 petits coins façon salon avec fauteuils et tables basses. De toute façon, quoiqu’il arrive, les gourmets seront amenés à se rencontrer autour du buffet et de la joie que dégage Mickaël quand il fait découvrir sa passion pour la pâté-croûte. Et ça a fonctionné. Les 2 couples ont vécu une soirée intime sans être gênés par la convivialité imposée par le format. Non sans manquer de créer une vraie connexion avec Olivia et Mickaël ni de rire avec moi qui me suis offert un luxe ultime : manger dans un lieu gastronomique… en chaussons au coin du feu !

J’ai fait un rêve…

Dans l’assiette, je me suis régalée. Il faut dire que Mickael ne fait pas les choses à moitié. Cuisinier de formation, de parcours et de cœur, il appréhende les techniques charcutières avec une démarche particulière. Loin de moi l’idée de dévaluer les charcutier.e.s de métier. Juste admettre que ce sont justement 2 métiers bien distincts et que quand les 2 se rencontrent dans les mains d’un Chef Étoilé passionné des bons produits et perfectionniste dans l’âme, ça donne des terrines gustativement judicieuses et précises, des rillettes aériennes et un pâté-croûte qui m’a scotchée. Pour tout vous avouer, j’étais un peu inquiète. Je ne mange pas de gluten ; j’ai une alimentation à 99% végétarienne ; et je ne bois quasi plus. Je me demandais comment mon 2ème cerveau allait assumer ce dîner que je savais d’avance délicieux mais certainement trop lourd. Et bien que nenni ! Pâté-croûte, terrine provençale, pâté de campagne, jambon persillé et rillettes, mais aussi un parmentier de canard, une déclinaison de 4 fromages et le baba au rhum/pamplemousse sont « passés » sans encombre accompagnés de mon inévitable gin tonic et de 2 verres d’un rouge délicieux soigneusement sélectionné par Olivia pour son amie qui n’aime pas les vins lourds et puissants. Comme quoi, quand la qualité est là…

Cerise sur le gâteau ? J’ai passé une soirée géniale avec et chez mes amis … alors qu’ils étaient au boulot !